Samedi saint.

Les hélices du quadrimoteur de la T.W.A. bercent ma somnolence. Nous ne sommes plus tellement loin de New York. Ce soir, je serai à Washington et je téléphonerai à Anderson. Sans doute voudra-t-il me voir tout de suite pour avoir des détails. Devrai-je dire la vérité à Cliff ? Devrai-je lui dire que c’est moi qui ai tué Alonso, mon ami, Alonso, mon copain de toujours, Alonso que j’aimais et qui m’aimait ?

Parce que les choses ne se sont pas passées exactement comme je l’ai raconté à Maria et à Fernandez.

Quand Alonso est entré, revolver au poing, et qu’il a crié :

« Lâche ton feu, Bob ! »

Lajolette a sursauté.

« Quoi ?

— Lâche ton feu !

— Mais… tu es fou ?

— Lâche ton feu ! »

Et Lajolette a laissé tomber son colt. J’ai respiré un grand coup.

« Merci, Alonso ! »

Alors, l’autre crapule a explosé :

« Ah ! tu peux le remercier, ce salaud ! Il… »

Alonso a tiré trois fois de suite et à toute vitesse. Il a toujours été bon tireur, Alonso, et je savais que dès la première balle il avait tué Lajolette.

« On l’a quand même eu, Pépé… »

Je l’ai regardé et il m’a dit :

« Quelque chose qui ne va pas ?

— Pourquoi as-tu tiré alors qu’il était désarmé ? »

Sa figure se figea.

« Pourquoi, à ton avis, José ?

— Parce que tu ne voulais pas qu’il parle…

— Vraiment ?

— Comme tu as tué les Percel, Alonso, parce qu’ils allaient parler…

— J’ai toujours pensé que tu étais intelligent, Pépé.

— Et comment as-tu fait pour entrer sans que ceux dans la rue t’arrêtent ? Sinon parce qu’ils te connaissent pour un de leurs… Et comment t’a-t-on donné le signalement d’Arbuthnot comme détective du Yard, Alonso ? Tu n’as jamais téléphoné à Washington ?

— Tu es très intelligent, Pépé… trop intelligent… c’est dommage…

— Dommage ?

— Parce que nous étions de bons copains… parce qu’il y a Ruth et « señor » José… parce que, maintenant, je suis obligé de te tuer, mon pauvre Pépé… »

Il avait vraiment de la peine et je pense que c’est ce qui m’a sauvé en ralentissant légèrement ses réflexes. J’ai roulé au sol presque au moment où il tirait. Si Alonso est rapide, je le suis aussi. Je m’étais laissé choir près du colt de Lajolette. Alonso a flotté quelques dixièmes de seconde, ne réalisant pas tout de suite si j’étais tombé avant ou après qu’il ne tire, et j’ai eu le temps de tirer par deux fois. Il est resté debout pendant que je me relevais, puis, il a plié lentement sur les genoux. En cognant par terre, sa tête a fait un bruit que j’entendrai toujours… Je me suis penché vers lui. Il a encore eu la force de sourire.

« Au fond, Pépé… j’aime mieux… que ça finisse de… de cette façon… Tu… tu diras à… à Cliff… »

Je n’ai pas pu savoir ce qu’il voulait que je dise à Anderson. Je lui ai fermé les yeux. J’ai essuyé la crosse du colt et je l’ai mis dans la main de Lajolette. Ensuite, j’ai pris le portefeuille du faux Charley. Il y avait des lettres d’Alonso et tout fut expliqué.

L’argent qu’Alonso prétendait gagner au jeu, c’était Lajolette qui le versait à son compte bancaire au nom de ses parents des Asturies. Ils avaient dû se rencontrer, par hasard, lors du voyage que mon camarade avait fait en Espagne. En échange de ses solides mensualités, Alonso tenait Lajolette au courant de ce qui se tramait contre lui au F.B.I. C’est pourquoi il avait tant insisté pour être envoyé à Séville. Il avait prévenu notre adversaire de mon arrivée, de mon déguisement, de mon rendez-vous à Cordoue. Lorsque Cliff l’avait envoyé pour m’aider, il avait dû se réjouir, sûr de faire échouer mes attaques mais, comme il m’aimait bien, il s’était efforcé de me renvoyer à Washington. Tout ce qu’il avait manigancé pour me pousser à soupçonner Juan et Maria avait été fait dans le but de m’obliger à abandonner la partie. En avertissant Fernandez que je m’étais procuré un revolver, il espérait qu’on m’expulserait. Il n’avait pas prévu la profondeur de mon attachement pour Maria et tout son plan avait échoué.

Le quadrimoteur glisse paisiblement au-dessus des nuages. L’hôtesse vient de nous avertir que, dans deux heures, nous serions à La Guardia.

Maria viendra-t-elle me rejoindre ? Je le crois. Je ne sais pas trop pourquoi, mais je le crois. L’image de Maria appelle celle de Ruth. Sait-elle maintenant ? À elle aussi, je vais raconter la même histoire qu’à Fernandez et à Maria. Au fond, pourquoi ne la raconterais-je pas également à Cliff Anderson ? Alonso a été tué par les balles de Lajolette.

Et, soudain, une grande paix descend en moi. Je n’ai plus peur de rencontrer Ruth, car je sais maintenant que je vais mentir à Cliff, que plus rien ne m’empêchera de mentir à Cliff. Alonso est tombé, victime de son métier. On inscrira son nom à la suite de tous ceux qui sont morts en service commandé. On collera une médaille sur le cercueil d’Alonso, Ruth touchera une pension et « señor » José apprendra à admirer son héros de papa dont il ne connaîtra jamais que la photographie. Cliff fera un beau discours et ce sera très bien ainsi.


1 Petits haricots bruns.

2 Morceaux de porc frits dans le saindoux.

3 Alcool tiré du maguey (cactus).

4 Alcool tiré de la canne à sucre.

5 Pièce d’un sou.

6 Claquement du talon sur le sol.

7 Café au lait.

8 Airs qu’on chante au passage d’une procession.

9 Clubs.

10 Gamin qui saute dans l’arène au moment où entre le toro pour le travailler avant que les toreros ne le chassent vers les policiers qui l’attendent.

11 Sorte de petits anchois.

12 Pénitent.

13 Char d’une procession.

14 Amuse-gueule.

15 Jeux de cape du torero avec le toro.

16 Jeux de cape du torero avec le toro.

17 Il est déjà deux heures moins un  quart.

18 Riz à la mode de Valence.

19 Que désirez-vous ?

20 Salaud !

21 Cette garce !

22 Maudits !

23 Tranche de pain bis garnie de rôti de porc.

24 Genre bûche de Noël.

25 Saucisse au foie de veau.

26 Pâtes.

27 Au revoir.

28 Avec plaisir.

29 Le fou.

30 Portez-vous bien, monsieur.

31 Grosses crevettes.

32 Boulettes de viande ou de poisson.

33 Artichauts farcis.

34 Beignets de poisson.

35 Pieds de veau en sauce.

36 Gelée de coing.

37 Baba au rhum.

38 Vin de Catalogne mousseux.

39 Veilleur de nuit.

40 Debout, lâche !

41 Assez !

42 Comment ça va ?

43 Contremaître.

44 Beignet allongé.

45 Excusez-moi, madame Dolorès, je n’ai pas le temps de bavarder.

46 Amoureux, hein ?